LA GENESE DU CUBISME
 
 

Paul Cézanne (1839 - 1906)


Matisse: La Desserte
(1908 - Léningrad, musée de l'Ermitage)
 
 
 
 

P. Cézanne: La montagne Sainte-Victoire
 
 
 
 

Paul Cézanne: La mer à l'Estaque
(Paris - Musée Picasso)
 
 
 

 Albert Gleizes, Paysage
[Meudon, paysage avec personnage], 
(1911, Huile sur toile, 146 x 114 cm)
Musée national d'Art moderne, Paris.

On a coutume de situer la naissance du cubisme à l'année 1907 avec l'achèvement par Picasso des Demoiselles d'Avignon, mais comme me le faisait remarquer Pierre Dazord citant Albert Gleizes (le Théoricien du cubisme), l'appellation est née le jour du vernissage de l'Exposition de 1911, et elle était réservée aux artistes de la salle 41 du Salon des Indépendants.
Avec près d'un siècle de recul, je crois qu'en 1906 sous le pinceau de Picasso, le nouveau courant n'avait pas encore son nom mais il explosait, aboutissement d'une longue maturation de la peinture. A la manière de Monsieur Jourdain, Picasso avec quatre années d'avance, faisait alors déjà du cubisme sans le nom, comme avant lui les peintres qui venaient d'accrocher leurs toiles dans l'atelier que Nadar avait mis à leur disposition ne savaient pas encore qu'ils appartiendraient au courant Impressionniste.
A la question  " Qu'est-ce-que l'art? " André Malraux ne répondait-il pas «…ce par quoi les formes deviennent style…»
C’est apparemment Matisse qui parla le premier de «petits cubes» à propos des œuvres que Braque soumit en 1908 au jury du Salon d’automne. Louis Vauxcelles, critique de la revue Gil Blas, inventeur du terme "fauvisme", fut le premier à parler de "cube" dans un article du 14 novembre 1908 sur l’exposition de Braque à la galerie Kahnweiler. Le 25 mai 1909, il qualifia les œuvres de Braque exposées au Salon des indépendants de «bizarreries cubiques».

Picasso avait été très impressionné par l'exposition des œuvres de Cézanne (organisée à Paris après sa mort) qui n'hésitait pas à s'affranchir des formes et perspectives. Il a alors 19 ans et peignait dans un style expressionniste mais étudiait  aussi l'Art Primitif dans le sillage de Gauguin. Très vite il a recherché le moyen de donner du volume et de la profondeur à la planéité résultant de la simplification des formes d'un Matisse, ce qui le ramena à Cézanne.

Cézanne, dans un courrier à un jeune peintre, lui conseillait «…d'entrevoir la nature de façon quasi géométrique, en cubes, cônes et cylindres, éléments de base à la construction du tableau…»

Ce travail d'expérimentation a été incessant chez les impressionnistes, les Fauves et surtout  chez Paul Cézanne à la fois pionnier, défricheur et précurseur de l'Art moderne. André Lhote, compagnon de Gleizes à Moly Sabata disait de Cézanne en 1920: «…Avouons qu'il n'est rien, dans tout ce que l'on tenta durant ces dernières années, qui ne trouve dans Cézanne son point de départ et, encore, parfois, sa solution anticipée…»

Matisse et les fauves avaient poussé la simplification du dessin à l'extrême et s'étaient affranchis des perspectives mais l'expérimentation s'en trouvait bloquée dans une impasse de planéité, privée de relief, impression encore accentuée par la violence des couleurs.
Paul Cézanne, par son travail acharné (plus de 800 toiles), et avec son génie précurseur, a su réintroduire le volume et la perspective non par le dessin, mais uniquement par la couleur et l'harmonie des teintes. Deux séries d'œuvres l'illustrent bien: La Montagne Sainte-Victoire et La mer à l'Estaque.

La Sainte-Victoire, qu'il gravissait dans sa jeunesse avec son ami Emile Zola apparaît dans les premières interprétations de façon aérienne avec au premier plan des maisons et des arbres nettement esquissés, puis au fil du temps et des versions les détails vont disparaître laissant la place à des touches colorées, harmonieuses, répétées sur la montagne et reflétées dans le ciel avec un espace traité en deux ou trois plans (version du Musée de Kansas City), la perspective et le relief étant uniquement traités par la modulation de la couleur, comme se plaisait à le rappeler l'Artiste, et dont l'extraordinaire jeu ne traitait plus de façon figurative que le profil de la Sainte-Victoire.
La Mer à l'Estaque est encore un beau paysage de sa Provence natale. Au fil du temps et des versions on voit le style évoluer vers l'Abstraction et le frissonnement du cubisme avec des maisons qui prennent des formes géométriques, taches cubiques colorées et imbriquées; où ciel et mer se confondent, mais où seul le dessin plus précis des branches des pins atténue l'effet géométrique: touche figurative au sein d'un ensemble géométrique, c'est un cubisme à la manière de Gleizes !
Cette toile dans sa version la plus ultime est une véritable charnière vers l'Art moderne et ce n'est pas coïncidence si elle a aussi été reproduite par Georges Braque et achetée en 1940 par Picasso qui admirait profondément Paul Cézanne; Brassaï, un ami de Pablo Picasso rapporte d'ailleurs ces propos: 
«…Cézanne était notre seul et unique maître. Vous pensez bien  que j'ai regardé ses tableaux .. J'ai passé des années à les étudier.. Cézanne était comme notre père à tous…»

Pour moi, le véritable découvreur du cubisme est Paul Cézanne et nombreux s'accordent à reconnaître son génie.
Paul Klee écrit en 1908: 
«…J'ai pu voir huit tableaux de Cézanne. Voilà pour moi le maître par excellence, propre àm'instruire beaucoup plus que Van Gogh…»

Apollinaire, ami des Cubistes Braque et Picasso écrit en 1910:
«…Parmi les maîtres de la peinture du XIXè siècle, Paul Cézanne compte pour L'un des plus grands. La plupart des jeunes peintres vouent à son oeuvre une prédilection marquée…»

Malevitch en 1928:
«…Dans l'histoire de la peinture, nous avons en la personne de Cézanne l'apogée de son évolution…»

L'Art vit une perpétuelle expérimentation qui voit naître des courants successifs, chacun d'eux tirant les leçons du précédent, mais c'est aussi un mouvement perpétuel ou un enchaînement sans fin qui lie l'actuel au passé et il suffit pour s'en convaincre de contempler l'Art rupestre préhistorien ou les fresques égyptiennes.
 

Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, 17/03/2001

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P. Cézanne: La montagne Sainte-Victoire
(1902-1906 Kansas-City, Nelson Atkins Muséum of art)

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(Dernière mise à jour: 10 octobre 2001)
 
 

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